La philosophie d’al-Ghazali reflète l’esprit de son époque plutôt qu’elle ne répond à ses défis. Sa pensée éducative, tout comme sa philosophie, privilégie la continuité et la stabilité plutôt que le changement et l’innovation. Il accorde une grande importance au processus éducatif, qu’il considère comme une responsabilité collective de la société, déléguée aux parents et aux enseignants. En effet, l’enfant est confié à ses parents, qui ont pour devoir de l’élever et de l’éduquer. Pour al-Ghazali, la société a pour mission d’appliquer la loi divine (la charia), et le but ultime de l’être humain est d’atteindre le bonheur auprès de Dieu. Ainsi, l’objectif de l’éducation est de réformer l’individu pour qu’il se conforme aux enseignements religieux et obtienne ainsi le salut et le bonheur éternel dans l’au-delà. Les autres aspirations terrestres, comme la richesse, le statut social, le pouvoir ou même l’amour du savoir, sont considérées comme des illusions, car elles sont liées au monde matériel.
Selon al-Ghazali, l’être humain naît comme une page blanche ; sa personnalité, ses traits et son comportement sont ensuite façonnés par son environnement social et familial. La famille joue un rôle crucial en lui enseignant la langue, les coutumes, les traditions et la religion, ce qui lui confère une grande responsabilité éducative. Les parents sont ainsi responsables de la droiture ou des erreurs de leur enfant, avant que les enseignants ne prennent également leur part dans cette mission.
Al-Ghazali insiste sur l’importance de l’enfance dans la formation de l’individu. C’est durant cette période que l’éducation, si elle est bien conduite, peut façonner une personnalité vertueuse et préparer l’enfant à une vie droite. En revanche, une éducation mal dirigée peut corrompre sa personnalité et rendre difficile son retour sur le droit chemin. Il est donc essentiel de comprendre les spécificités de cette phase pour que les interactions avec l’enfant soient bénéfiques.
Il recommande que les garçons fréquentent le maktab (école primaire) dès leur plus jeune âge, car l’apprentissage à cet âge est comparable à une gravure dans la pierre. Les éducateurs doivent également être attentifs à l’évolution des motivations et des centres d’intérêt de l’enfant : d’abord le goût du jeu et du divertissement, puis l’attrait pour l’apparence, ensuite l’intérêt pour les relations amoureuses et la sexualité à la puberté, puis le désir de pouvoir, et enfin, à l’âge adulte, la quête spirituelle. Les éducateurs peuvent utiliser ces étapes pour motiver l’élève à apprendre, par exemple en exploitant son intérêt pour les jeux, les vêtements ou le pouvoir.
Dans le cycle primaire, l’enfant doit apprendre le Coran et les paroles des compagnons du Prophète. Il doit être protégé des poésies érotiques et de la fréquentation des hommes de lettres, qui pourraient corrompre son âme. L’école doit lui enseigner l’obéissance envers ses parents, ses enseignants et ses aînés, ainsi que le respect envers ses camarades. Il doit être éduqué à la modestie, à la générosité et à la prudence, et mis en garde contre l’influence négative de certains groupes. Al-Ghazali recommande également de choisir des amis possédant cinq qualités essentielles : l’intelligence, la bonne moralité, la droiture, le désintéressement et la franchise.
L’éducation, selon al-Ghazali, ne se limite pas à l’acquisition de connaissances intellectuelles ; elle doit englober tous les aspects de la personnalité de l’apprenant : intellectuel, religieux, moral et physique. Elle ne doit pas rester théorique, mais se traduire par une mise en pratique effective. Le véritable apprentissage est celui qui influence le comportement et incite l’élève à appliquer ce qu’il a appris.
Les éducateurs doivent se concentrer sur l’éducation religieuse, en inculquant à l’enfant les principes fondamentaux de la religion. Dès l’âge de sept ans, il doit être initié aux ablutions, à la prière et à quelques jours de jeûne pendant le Ramadan, jusqu’à ce qu’il soit capable de jeûner entièrement. Il doit être éloigné des vêtements de soie et des bijoux, interdits par la religion, et instruit sur les interdits de la loi divine. Il doit également être protégé du vol, de la consommation de nourritures interdites, de la perfidie, du mensonge et des paroles obscènes. Al-Ghazali, parfois plus soufi qu’éducateur, suggère même de couper l’enfant des tentations du monde pour l’habituer à l’ascétisme et à la modestie.
Cependant, l’éducateur en al-Ghazali réapparaît lorsqu’il recommande de laisser l’enfant jouer après l’école pour se détendre des rigueurs de l’étude, sans pour autant le fatiguer excessivement. Interdire le jeu et imposer un apprentissage constant risquerait d’étouffer son cœur et son intelligence, le rendant amer et dégoûté de l’étude.
Un élève obéissant et performant doit être honoré et loué en public pour encourager les autres à suivre son exemple. En cas de faute, l’éducateur doit d’abord ignorer l’erreur si l’enfant en a conscience et montre une volonté de s’améliorer. En cas de récidive, une réprimande en privé, sans excès, est préférable. Si une punition corporelle est nécessaire, elle doit être légère et motivée par un souci éducatif, non par la volonté de faire mal.
L’enseignant doit adapter sa méthode aux différences de personnalité et de capacités des élèves. Il ne doit pas pousser un élève au-delà de ses limites ni empêcher un élève doué de progresser plus rapidement que ses pairs. Une telle approche serait aussi inefficace que de nourrir un nourrisson avec de la viande ou un adulte avec du lait maternel.
Al-Ghazali, influencé par les philosophes comme Ibn Maskawi, revient à ses racines de juriste et de soufi lorsqu’il aborde les principes généraux de l’éducation, notamment en ce qui concerne les arts. Bien qu’il définisse le beau et le bien comme la perception globale des choses, il condamne rapidement l’écoute de la musique et du chant, sauf lorsqu’ils sont liés à des occasions religieuses ou licites. La musique et les chants sont comparés à des médicaments : ils doivent être utilisés avec modération. Il en va de même pour la danse, acceptable si elle n’éveille pas de désirs impurs.
Al-Ghazali rejette catégoriquement la peinture et le dessin, reprenant la position rigoriste des jurisconsultes islamiques qui associent ces pratiques au culte des idoles. Il recommande de détruire ou d’altérer les images et déconseille les métiers liés à la gravure, à l’orfèvrerie et à l’ornementation. Quant à la poésie, bien qu’elle ne soit pas interdite, il conseille de ne pas y consacrer trop de temps.
En somme, al-Ghazali adopte une position sévère, typique des jurisconsultes les plus rigoristes, en divisant les arts en catégories licites, répréhensibles et interdites. Il valorise ce qui renforce la ferveur religieuse et critique ce qui vise simplement à divertir. Cependant, il est important de replacer ses idées dans le contexte de son époque pour en comprendre la portée.
Enfin, al-Ghazali encourage le mariage dès l’apparition des pulsions sexuelles et la maturité, tout en soulignant que fonder une famille est une responsabilité sérieuse qui nécessite une préparation. À ceux qui ne peuvent se marier, il recommande de maîtriser leurs désirs par le jeûne et les exercices spirituels.